L’art subtil de… suivre ses couts IT

Quand maturité rime avec complexité puis simplicité

Fabien Dussaucy
9 min readJun 5, 2023

Ca y est le budget pour l’année à venir est terminé, les plans de recrutements sont ficelés et les équipes ont commencé à travailler sur les nouvelles priorités.

Mais ce n’est que le début du chemin, il faut maintenant suivre la consommation budgétaire. En effet entre le plan budgétaire et la réalité de son execution, il existe souvent un gap important. Tel projet se révèle plus complexe que prévu. Tel partenaire décide de revoir les termes du contrat. Un événement inattendu nécessite de revoir l’ensemble des priorités (COVID, Guerre en Ukraine, grèves…).

De plus, connaitre comment le budget IT est consommé et savoir le répartir entre les différentes fonctions métiers, permet de donner de la visibilité sur la rentabilité des différents produits de l’entreprise.

Tous ces processus nécessitent en revanche des efforts importants à faire grimacer les meilleurs CIO et CFO.

Voici donc un récapitulatifs des bonnes pratiques de suivi et d’allocation des couts des fonctions IT.

1. Les Start-Up et TPE: Une entreprise et un unique produit

Au départ, l’exercice de suivi et de répartition des couts est relativement simple. L’entreprise vient de se créer, elle ne propose qu’un produit, ou qu’une gamme relativement restreinte de produits.

Elle possède une équipe IT avec un budget et des initiatives. Elle constate des couts chaque mois, et la direction financière peut directement faire le lien entre ces dépenses IT et le produit vendu. L’allocation des couts n’est donc pas un sujet.

L’entreprise se concentre plutôt sur la bonne priorisation et execution de ses initiatives.

Comment aller vite et capter de la valeur sur le marché?

2. Les Scale-Up et PME: Multiplication des produits

Avec le développement de l’entreprise, de nouveaux produits font leur apparition, ou des nouvelles gammes nécessitant des développements spécifiques. Par exemple, là ou l’entreprise développait un produit pour les particuliers, une nouvelle offre voit le jour pour les professionnels avec des services différents, un parcours client différents et des applications différentes.

Les équipes IT vont alors se spécialiser: une équipe continuera à travailler sur le produit à destination des particuliers et tandis qu’une autre partira sur le nouveau produit. Dans cette situation, on peut également imager qu’une partie des équipes IT reste mutualisée pour des besoins communs aux deux produits, ou pour répondre à des besoins de pilotage interne (RH, Finance…) .

Si le directeur financier souhaite obtenir une vision en cout complet de ses 2 produits, il devra:

  • allouer le cout de l’équipe dédiée qui travaille sur chaque produit
  • séparer en deux les couts de cette équipe transverse à l’aide de clés de répartition

De nombreuses options existent alors pour gérer cette équipe mutualisée: une répartition équitable, un pro rata selon le chiffre d’affaire, selon le nombre de commerciaux, de clients… La mécanique globale reste simple, mais elle permet d’obtenir une vision assez fine des niveaux de rentabilité de chaque produit et d’orienter les décisions de financement.

La répartition des couts avec des clés d’allocation est un grand jeu d’équilibriste

3. Les Corporations: De multiple entités sur de multiples pays

Les choses se compliquent lorsque de nouvelles entités juridiques se rajoutent dans le périmètre opérationnel de l’entreprise. C’est souvent la conséquence d’une des situations suivantes:

  • rachat d’un concurrent
  • création d’une entité dédiée pour traiter un nouveau produit
  • création d’une entité dédiée avec son propre IT dans un nouveau pays

De nombreuses contraintes juridiques et fiscales rentrent alors en compte et il est tout à fait indispensable de se faire accompagner par des avocats et des comptables pour réaliser ces opérations.

D’un point de vue du suivi des couts, c’est à ce moment là que les vraies difficultés apparaissent. Restreignons nous aux difficultés soulevées par les équipes IT.

Dans un tel système, il est probable de se retrouver dans une situation telle que celle-ci:

Chaque rectangle représente une entité, et chaque fleche un flux d’activité (et donc potentiellement une facture)

Chaque entité IT travaille principalement pour son métier, mais peut aussi servir les besoins des autres entités. Ce schéma est la version “simplifiée” du fonctionnement de tous les grands groupes.

Dans un schéma comme celui ci, une facture de “Autre fonction support” passera potentiellement par 2 ou 3 acteurs avant d’arriver jusqu’au métier final.

Comment donner alors une bonne visibilité aux décideurs du métier 1 sur la contribution IT pour faire tourner ses activités? Comment lui réallouer en conséquence les bons couts de fonctionnement?

Pour répondre à cette question, regardons le cas spécifique des moyens humains.

4. Allouer le cout des moyens humains

Pour le cout des personnes (internes ou externes), la partie la plus simple concerne les projets menés. Les projets sont par construction connus à l’avance. Il est alors possible de demander aux équipes IT de déclarer sur quels projets elles ont travaillé (via le timetracking).

Sur la base de cette déclaration de temps passé, les couts des équipes sont alors alloués aux différents métiers demandeurs de ces projets. On peut donc de facilement obtenir de la visibilité sur les couts des moyens humains alloués aux projets.

Pour les activités de production/run, c’est un petit peu plus complexe, deux options sont alors possibles:

  1. Approche applicative: identifier les applications sur lesquelles les équipes ont contribuées, et utiliser des clés de ventilation entre ces applications et les poches métiers
  2. Approche activité: découper le travail des équipes IT en activités pré identifiées de manière à pouvoir les allouer ces activités vers des poches métiers

Mais une autre subtilité apparait rapidement: quels couts allouer aux métiers?

Le cout réel constaté? c’est à dire pour les internes, le salaire mensuel spécifique de chaque salarié? en donnant le risque de rendre transparent le cout de chaque salarié?

Utiliser un cout normalisé avec un taux journalier identique pour l’ensemble des internes?

Utiliser un cout normalisé intégrant la séniorité de la ressource pour différencier des grandes catégories de profiles?

Comment ensuite comptabiliser tous les couts autours des ressources IT? ils occupent bien des bâtiments, utilisent du mobilier, des PC, des écrans et d’autres équipements informatiques. Ils bénéficient aussi de services RH, et de tous les services d’un grand groupe.

Il faudrait alors potentiellement rajouter et répartir tous ces couts sur les couts directs des ressources IT (salaires) lorsqu’on les réalloue aux métiers.

Mais ces fonctions RH utilisent elles mêmes des PC, et des services IT, qui nécessitent des moyens humains IT. Ce qui crée une boucle d’allocation et de répartition infinie.

On commence à comprendre la complexité à laquelle les CFO et CIO doivent faire face pour donner une vision claire de la répartition de leurs couts.

De longues nuits sont souvent nécessaires pour réallouer proprement les couts IT aux métiers

5. Comment simplifier ce suivi des couts?

Rapidement les grands groupes se retrouvent dans une situation où le modèle de suivi et de répartition des couts devient tellement complexe qu’il devient contre productif.

Des dizaines de personnes, des centaines d’heures sont nécessaires chaque mois pour reconstruire une vision des couts par métier, via des multiples clés d’allocation, et règles de gestion en cascade qui rendent toute explication d’une baisse ou augmentation impossible.

Et malgré tous ces moyens, l’IT et la finance n’arrivent plus à expliquer simplement comment les enveloppes de couts IT se répartissent, ni à proposer des leviers de décision pertinents pour le pilotage.

Les métiers doivent ainsi financer une fonction de pilotage qui coute cher, et qui n’apporte pas de réponse à ses questions financières, même les plus basiques.

C’est en réaffirmant le “pourquoi” de ces modèles de répartition des couts que ces grandes corporations arrivent à sortir de ces impasses:

Obtenir une visibilité de la contribution IT sur les activités métiers pour prendre les bonnes décisions d’investissement

La précision du modèle redevient donc un élément moins important que son intelligibilité et son utilisabilité.

Les flux d’allocation/facturation

La première réponse est dans la simplification des flux intra groupes. Une des grandes règles est de limiter à tout prix les flux financiers circulaires, et autant que possible les flux croisés entre entités.

Dans des groupes internationaux, cette approche permet aussi de limiter le paiement de taxes en limitant les flux, telles que la TVA intragroupe.

Un exemple d’application est d’interdir la répartition des couts entre fonctions supports IT:

Voir entre l’ensemble des fonctions supports:

Les couts sont ainsi directement facturés aux équipes métiers finales, pour simplifier les flux entre entités intermédiaires.

On peut alors passer d’un système où le cout de l’équipe “Autre fonction support” est facturé directement au Métier 1 plutot qu’en passant via 3 intermédiaires (IT Groupe, IT Métier fonction Groupe) avec leurs propres clés d’allocation et règles de gestion.

Cette mise en place n’est cependant pas anodine, car elle nécessite chez chacune des entités, une bonne maitrise de qui est le client final de leurs activités.

6. Mettre en place un catalogue de service

La deuxième réponse passe par la création d’un catalogue de services.

Dans cette approche, chaque fonction support définit une liste de produits/services qu’elle propose à ces entités partenaires pour l’année à venir.

Grâce aux outils de monitoring et de mesure de l’utilisation des ressources (compteurs de données, journaux d’activités, outils de gestion…) la DSI peut alors identifier combien chaque client utilise de ressources.

Une fois que la consommation des services IT est mesurée, les coûts peuvent être répartis en fonction de cette consommation: on prend la totalité des couts du service, et on facture au pro rata de leur utilisation par les clients internes. Par exemple, si une entité métier utilise plus de capacité de stockage ou de puissance de calcul, elle sera facturée en conséquence.

Cette approche basée sur la consommation présente plusieurs avantages. Elle permet une répartition plus équitable des coûts, car chaque entité métier ne paie que pour les services qu’elle utilise réellement. Elle incite également à une meilleure gestion de la consommation des ressources, car les entités métiers sont directement responsables des coûts associés à leur utilisation.

Les problématiques

Cependant, cette approche peut également présenter des défis. Il peut être difficile de mesurer avec précision la consommation des services IT, en particulier lorsque les ressources sont partagées entre plusieurs entités métiers.

De plus, si un métier décide finalement de ne pas consommer une partie des ressources qui lui avait été budgété, c’est l’ensemble des autres clients qui par effet rebond devront compenser le manque à gagner, et veront ainsi leurs couts augmenter.

Dans cet exemple, le métier “vert” n’a finalement utilisé que la moitié des 8 servers qui lui été attribué en début d’année. Pour maintenir l’équilibre des couts de la DSI, le cout de ces ressources non utilisées doit être réalloué à l’ensemble des acteurs. Les métiers rouge, bleu et violet se retrouvent donc avec une augmentation de leurs couts de serveur. On passe à un montant réalloué de 5 par serveur à 6,25, soit 25% d’augmentation !

Dans la vraie vie, pour un catalogue avec des centaines de services, des centaines de variation de couts unitaires, d’écarts de consommation, et des dizaines de clients, on imagine très bien les bains de sang que cela peut entrainer.

Un nouvel axe de simplification, les prix fixes

Dans l’exemple précédent, le mécontentement des métiers venait en partie de leur incertitude sur le montant qui allait leur être alloué: celui-ci dépendait fortement des comportements des autres métiers.

Afin de limiter ces effets de bord, un mécanisme simple consiste à fixer les prix. Un serveur aura donc un cout de 5 pour la DSI, et sera réalloué au prix de unitaire de 5 à ses métiers.

Mais en fin d’année, en gardant un prix de 5 pour l’ensemble de ses clients, implicitement, la DSI accepte de créer un déficit de 20 sur ces couts de serveur. A l’échelle de l’ensemble des services, elle peut néanmoins espérer que l’ensemble de ses écarts s’équilibre.

Un article dédié sera bientôt partagé sur l’ensemble de ces mécanismes de gestion des catalogues de services et leurs bonnes pratiques.

Conclusion

En résumé, la répartition et le suivi des coûts IT est une problématique importante pour de très nombreux acteurs IT.

Sans un effort structuré de simplification, les contrôleurs de gestion, CFO et CIO peuvent très rapidement se retrouver au milieu d’un plat de spaghetti, qui coute très cher à maintenir et qui n’apporte aucune visibilité aux décideurs.

Et les nombreux cas clients le confirment, pour ce sujet en particulier, la simplicité est la clé d’un pilotage des couts efficace.

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Fabien Dussaucy

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